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  Je vous avoue que je me suis tâté un moment avant de l’écrire — pour des raisons d’emploi du temps, principalement, et ensuite parce que tout semblait avoir été dit sur le tramway, son prix, son art et la communication généreuse faite autour de l’ensemble.

Et puis, au détour de ce billet chez Gaël « De tout et de rien », je suis tombé sur un bout d’interview donnée par le sieur Buren à France Bleu — et comme il n’est rien que j’apprécie plus que de me faire du mal, je l’ai écoutée. Vous pouvez encore la trouver sur ledit blog, mais je vous facilite la tâche en vous retranscrivant ici les paroles de M. Buren :
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  « On offre quelque chose et qui va frapper de plein fouet un public dont la grande grande majorité ne sait absolument pas — et j’insiste bien là-dessus, ce n’est pas de sa faute — de quoi il retourne. On ne sait pas regarder. On n’apprend pas, ça. Je pense que ça explique plein de choses. Pourquoi l’architecture en général est si moche et désastreuse, c’est parce que non pas que tout le monde s’en fout mais il n’y a aucune éducation donc en fait beaucoup de choses arrivent à voir le jour qui, s’il y avait un tout petit peu plus de critique ou d’œil aguerri, il y a des choses qui sans doute ne se feraient pas. »
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Passons outre le ton condescendant où perce l’indignation de l’artiste blessé de voir son génie remis en question et attaquons-nous au fond. Que monsieur Buren nous raconte-t-il, en une minute à peine ?
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  Le public est supposément inculte. D’après l’artiste, si ses créations, disposées tout le long du tramway, suscitent de telles réactions, c’est avant tout parce que la « grande grande (sic) majorité du public ne sait absolument pas […] de quoi il retourne. » Les choses sont posées : Tourangeaux, vous n’êtes pas assez cultivés. Lisez, reprenez des études ou que sais-je, mais faites-le promptement, sans quoi jamais vous ne serez en mesure d’apprécier l’art de M. Buren à sa juste valeur.
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  Mais ce n’est pas de sa faute ! Heureusement pour le bon peuple « frappé de plein fouet » par une œuvre qui le dépasse, M. Buren est empathique et magnanime. Il comprend et ne juge pas : si nous ne pouvons saisir les tenants et aboutissants de ses créations, ce n’est pas de notre faute. Simplement, nous n’avons pas été éduqués. Le Tourangeau moyen, c’est l’homme à l’état de nature, le bon sauvage — le brave gars. C’est à se demander à quoi sert l’histoire de l’art que l’on enseigne dans les collèges.

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  Mais bon, quand même, les gens abusent un peu. Mine de rien, nous dit M. Buren, nous serions presque criminels à force d’inculture. Le défaut d’apprentissage du regard artistique chez la plupart conduirait à l’érection de bâtiments tous plus laids les uns que les autres, qualifiables sans trop forcer le trait d’aberrations architecturales. Attention, je ne parle pas d’une malheureuse faute de goût posée de-ci de-là entre deux chefs-d’œuvres ; c’est bien « l’architecture en général [qui] est si moche et désastreuse ». Soyons clair : les gens cochonnent, ce sont d’ineptes tâcherons.
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  Il serait bon d’être un rien honnête… Pourquoi ne pas avouer, M. Buren, que vous avez eu comme tout artisan un cahier des charges à suivre et que, prisonnier de ce carcan, vous n’ayez eu d’autre choix que de livrer une production inférieure à ce qu’elle aurait pu être dans d’autres conditions ? Pourquoi ne pas concéder qu’au regard du financement qui vous était alloué, vous n’ayez fait que ce que vous pouviez ? Concevriez-vous tant de honte d’admettre enfin que votre art ne colle tout simplement pas avec le tuffeau et l’ardoise de nos immeubles ?
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  Toutefois, il est un point sur lequel je rejoins monsieur Buren. « S’il y avait un tout petit peu plus de critique ou d’œil aguerri, nous dit-il, il y a des choses qui sans doute ne se feraient pas. » À ceci, on ne peut qu’acquiescer, mais croyez-moi, des yeux aguerris se sont posés sur vos colonnes qui les ont trouvées odieuses. Des yeux profanes les ont observées et photographiées, qui les ont trouvées belles. Ce n’est pas une question de connaissances, de culture ou d’intelligence — c’est une question de goût, et il convient d’accepter que l’on remette en question même ceux d’un artiste connu.
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  Pour finir, je vous offre mon point de vue. Si M. Buren est, comme l’explique le site du tram’, un observateur attentif des lieux où il place ses créations, je ne puis que constater que l’analyse, cette fois, ne fut sûrement pas assez longue. Aussi aigu soit son esprit, il ne sera jamais aussi au fait de ce qui convient à Tours que ceux qui y vivent et la traversent tous les jours.
« Buren parle lui-même «d’instrument pour voir», car paradoxalement, en se limitant à un motif unique, il parvient à un élargissement du champ visuel du spectateur », vante le site de Sitcat.
Pour le coup, c’est raté, on ne voit plus que cela.

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